Bolivie: l’opposition de droite menace le gouvernement démocratiquement élu

Le président bolivien Arce connaîtra quelques semaines difficiles. Pendant un « sommet pro-démocratique » dans la capitale économique Santa Cruz, l’opposition a été claire. « Nous mettrons tout en oeuvre pour enrayer cette dictature”, a dit Rómulo Calvo, le président d’extrême-droite du Comité Cívico pro Santa Cruz en date du 4 octobre.

Les anciens présidents Jorge Quiroga (2001-2002) et Carlos Mesa (2003-2005) étaient également présents. Deux ans après le coup d’Etat, les mêmes forces se réunissent.

Procès ‘golpe de estado’

Quand l’ancien président Evo Morales a démissionné en date du 10 novembre 2019 sur les « conseils » de l’armée, le pays des Andes a connu une incertitude absolue. Après 2 jours, la vacance du pouvoir s’est arrêtée, quand il a été décidé pendant une réunion extraparlementaire secrète que Jeanin Áñez deviendrait présidente.

Cette femme politique était la présidente bolivienne jusqu’à la mi-octobre 2020, jusqu’à ce que Luis Arce, candidat du Movimiento al Socialismo (MAS) ait gagné les élections de 55% au premier tour. Depuis mars 2021, elle est en détention préventive pour son rôle pendant le coup d’Etat. Entre-temps, la justice prend aussi les véritables personnages clés du coup d’Etat dans son collimateur : le cimentier et dirigeant du parti politique Unidad Demócrata (UD), Doria Medina, et l’ancien président du comité Pro Santa Cruz, Fernando Camacho.

« Nous terminerons ce que nous avons commencé », a dit Fernando Camacho, le gouverneur du département Santa Cruz, pendant les festivités pour l’anniversaire du département fin septembre. « Ils veulent nous arrêter, nous enfermer, mais nous nous battrons », a-t-il rajouté. Ce Bolsonaro bolivien était l’un des acteurs cruciaux du coup d’Etat en 2019.

Il a non seulement organisé les grandes assemblées du peuple à Santa Cruz, derrière les coulisses il était en étroit contact avec des membres importants de l’opposition, les forces de l’ordre et les médias. Pendant les semaines suivant le coup d’Etat, il a partagé une vidéo sur les réseaux sociaux où il a raconté fièrement comment son père avait conclu un pacte avec l’armée et la police « pour ne pas intervenir ».

Camacho est accusé de terrorisme et d’incitation à la révolte et il sera entendu par le tribunal dans la capitale politique La Paz en date du 7 octobre. Il a le tribunal à ses trousses et veut éviter une arrestation potentielle.

Alliance ‘Pro-démocratique´

Le soi-disant Cumbre Nacional por la Unidad y la Defensa de la Libertad y la Democracia (‘le sommet national pour l’unité et la défense de la liberté et de la démocratie) a eu lieu le 4 octobre dans les bâtiments du Comité Cívico pro Santa Cruz qui est séparatiste. Dans la salle était assis un groupe hétéroclite de politiciens, de leaders sociaux, de membres du clergé et de citoyens.

Le politicien de centre-droit modéré Carlos Mesa (qui a perdu les élections présidentielles) a partagé le podium avec le leader social conservateur radical Rómulo Calvo. La plateforme dite citoyenne Comité Nacional de Defensa de la Democracia (Comité national pour la défense de la démocratie - CONADE) était également de nouveau présente, tout comme l'église évangélique.

« Nous exigeons la mise en liberté immédiate d’Áñez », ont-ils dit. Selon les participants au sommet, elle est la victime d’une chasse politique et juridique aux sorcières, tout comme les militaires et les policiers détenus. Tous les policiers licenciés ou détenus en raison de mutinerie dans le cadre du procès ‘Golpe de estado’ (coup d’Etat) doivent être mis en liberté et remis en honneur, lit-on dans leur résolution.

Dans la même déclaration publique on répète que l'alliance défendra Camacho bec et ongles et on appelle à « participer à la grève nationale du 11 octobre ».

Elle était tout sauf modérée, et le langage cru n'a pas été épargné. Carlos Mesa a évoqué le danger de l'"État policier" et Jorge Quiroga a averti contre un scénario "vénézuélien". Le porte-parole présidentiel actuel, Jorge Richter, a réagi immédiatement après la réunion. Il a évoqué un plan de déstabilisation du gouvernement Arce, le coup d'État de 2019 étant encore frais dans son esprit.

Une guerre civile

L’organisation syndicale faîtière Central Obrera Boliviana (Centrale des ouvriers bolivienne - COB) a aussi réagi: « Ces gens ne s’intéressent pas au pays et au peuple. Après le coup d’Etat et ensuite la pandémie, le pays a d’abord besoin d’une relance économique », a dit le secrétaire général de la COB Juan Carlos Huarachi. « La déstabilisation du pays est leur objectif, ce que la centrale syndicale estime très douloureux ».

La réaction de l'organisation paysanne Confederación Sindical Única de Trabajadores Campesinos de Bolivia (Confédération syndicale des travailleurs agricoles de Bolivie - CSUTCB) a été moins modérée. « Si quelqu'un (Camacho, Mesa, Quiroga) veut une guerre civile, qu'il le dise. Nous nous défendrons, non pas avec des armes importées de l'étranger (Áñez a acheté des armes au président argentin de l'époque, Mauricio Macri), mais avec nos propres armes. La CSUTCB ira jusqu'au bout, le sang sera versé", a déclaré Eber Rojas, secrétaire général ému.

Enquête indépendante du coup d’Etat

Suite au coup d’Etat, des dizaines de personnes sont mortes et des centaines de personnes ont été blessées en novembre 2019. L’enquête internationale menée par le Grupo Interdisciplinario de Expertos Independientes (GIEI) de la Commission interaméricaine pour les droits de l’homme parle de violations extrêmes des droits de l’homme, y compris des tortures et de la violence sexuelle.

L’une des recommandations du GIEI était une enquête judiciaire indépendante des responsables du massacre. La question reste de savoir si le contexte politique le contrecarrera.

 

Article rédigé par David Verstockt de l'ONG FOS et paru sur dewereldmorgen.be

Photo : Erbol