Elle peut changer des vies

Les violences physiques, sexistes et sexuelles ne sont jamais que la face visible de toutes les autres formes de violences morales , professionnelles sociales ou culturelles qui visent majoritairement des femmes. Les travailleuses de RDC n’échappent malheureusement pas à cette réalité. Pire, elles sont victimes d’une double peine puisque précarité et violences s’alimentent mutuellement plongeant de nombreuses femmes dans un cercle vicieux. La ratification de la convention 190 de l’OIT leur donne un levier supplémentaire pour sortir de la fatalité et changer de vie !

Par où commencer ? Aborder les questions relatives aux violences sur le lieu de travail en RDC n’est pas une tâche aisée tant les manières de l’aborder et les défis sont multiples. Qu’entend-on par lieu de travail ? De quelles violences parle-t-on ? Quel rôle et quelle responsabilité des organisations syndicales ?

L’éducation ouvrière comme outil de lutte privilégié

Une chose est certaine. Les organisations syndicales africaines en général et congolaises en particulier n’ont pas attendu l’adoption de la convention 190 de l’organisation internationale du travail (OIT) pour commencer à lutter contre les violences à l’égard de la femme dans la société y compris le lieu de travail. Consciente des enjeux culturels et sociaux-économiques spécifiques à la RDC mais aussi des mécanismes de dominations qui s’exercent dans le monde du travail, la plateforme d’action syndicale UFF (l’Union Fait la Force) investi depuis de nombreuses années dans l’éducation ouvrière et la formation de ses affilié·e·s. L’UNTC (l’union nationale des travailleurs du Congo), la CDT (la confédération démocratique du travail) et le COSSEP (conseil syndical des services publics et privés) travaillent en front commun pour construire un contre-pouvoir syndical légitime en RDC. Un des axes abordé régulièrement lors de ces séances porte justement sur les stéréotypes à l’égard des femmes pour garantir une juste place des femmes dans la société et dans les organisations syndicales à l’abri de toutes formes de violences.

«  Une des raisons principales pour lutter en faveur de cette ratification est qu’elle permet de faire le lien entre coutume et violence. Il faut faire comprendre à l’individu que ce qu’ils fait n’est pas bien. C’est à partir de cette prise de conscience qu’un changement de mentalité devient possible. Il y a des difficultés de définir, de quantifier et de prouver ces harcèlements et ces actes de violence. La ratification peut mettre en place des mécanismes pour identifier et surtout régler ces phénomènes ». Olga Kabalu (vice-présidente en charge des femmes et des jeunes au sein de la CDT et présidente du comité national des femmes au sein d’IndustriALL-RDC)

La C190 comme nouvel outil

Par contre la C190 offre un nouveau levier de conscientisation et de protection. Comme l’explique Odette Boomans (secrétaire générale adjointe au sein de la fédération nationale des travailleurs pétrole-énergie-chimie au sein de l’UNTC)

“La C190 concerne tou·te·s les travailleur·euse·s de tous les secteurs y compris celles et ceux qui œuvrent dans l’économie informelle. En RDC, le monde du travail est partout et pas seulement derrière un bureau. Il s’agit donc de s’assurer que quiconque exerce une activité doit être épargné des violences et notamment des tracasseries policières – y compris la maman qui vend ses beignets au coin de sa parcelle ».

La transformation de l’économie informelle est un des défis majeurs pour lutter efficacement contre la précarité structurelle des femmes en RDC. Loin d’être un espace économique homogène, l’économie informelle recouvre un nombre importants et très divers de secteurs d’activité dans lesquels les femmes sont majoritaires. En RDC, on estime à plus de 90% le taux d’activité dans l’un ou l’autre secteur de l’informelle. C’est donc le véritable poumon économique du pays dans lequel, hommes, femmes et enfants déploient toutes sortes de stratégies pour survivre au quotidien. Un des paradoxes de celles et ceux qui y travaillent est qu’il n’est pas nécessaire d’être chômeur ou étudiant pour plonger dans cet univers de la débrouillardise. Le contrat de travail ne concerne qu’une poignée de « privilégié » et n’est même pas suffisant pour se protéger contre la précarité. Les licenciements abusifs sont monnaie courante et les salaires dérisoires. Sans parler des retards dans le paiement des salaires voire même des rares revenus de remplacement accordés aux retraités par exemple, tant dans la fonction publique que dans le privé, qui enfonce encore un peu plus le·la travailleur·euse dans la précarité la plus totale. Ces abus quotidiens dans le monde du travail congolais sont autant d’indices qui permettent de comprendre ces phénomènes de violence et de harcèlement qui nuisent à la santé psychologique et physique ainsi qu’à la dignité de la personne.

Économie informelle

« On peut le voir de manière positive en tant que source d’emploi et de revenus pour des millions de personnes qui, autrement, ne disposeraient d’aucun moyen de substance. Il peut être vu négativement dans la mesure où c’est un segment entier de la société qui échappe à toute réglementation et protection. Il peut être perçu de manière romanesque en tant que terrain propice à l’esprit d’entreprise, qui pourrait s’épanouir si seulement il n’était pas gêné par un tas de réglementations et une bureaucratie inutiles. Il peut être condamné en tant que source de retard, de pauvreté, de crimes et de conditions insalubres… » (BIT : le dilemme du secteur non structuré, rapport du Directeur Général)

La précarité n’est pas un métier !

On peut connaître la précarité parce qu’on est victime de violences et dans le même temps, la précarité peut être un facteur de risque qui mène à des violences de toutes sortes. L’économie informelle, par définition, dénomme toute activité économique qui échappe à toutes formes de protection et de régulation ce qui expose les femmes en générale à cette double peine.

« Si la police rackette et déplace sans arrêt les vendeur·euse·s ambulant·e·s, les autorités locales ont le devoir de mettre en place des lieux sécurisés pour exercer son travail. L’économie informelle est le réel moteur, et soutien de la nation. Toutes les familles en dépendent et donc si les vendeur·euse·s sont déplacé·e·s, voire interdits, c’est toute une famille que l’on précarise à travers cette violence ». (Odette Boomans)

Bien entendu, la crise suscitée par la pandémie du COVID-19 n’a fait qu’exacerber ces inégalités et ces violences dans ce monde du travail déjà très fragilisé

« La ratification de cette convention permettra de lutter contre toutes les formes et natures de harcèlement. Par exemple, la COVID-19 a créé beaucoup de tension. Certain·e·s travailleur·euse·s sont fortement atteint·e·s psychologiquement car la crise a été un révélateur des injustices sociales. Car celles et ceux qui pouvait aller travailler avaient la prime (un complément très substantiel du salaire) et ceux qui devaient rester chez eux ne recevaient rien. Au sein d’une même entreprise, cela a créé des tensions. D’autant plus que l’on vit au jour le jour dans la grande majorité du pays ». (Olga Kabalu)

Une responsabilité collective

Suite à la ratification de la C190 par deux pays membres de l’OIT (l’Uruguay et Fidji), cette convention entrera effectivement en vigueur en 2021. À présent il s’agit de mettre le gouvernement congolais face à ses responsabilités. Il ne faut pas oublier que c’est l’Etat congolais qui est membre de l’OIT et à ce titre il est engagé à faire respecter les normes internationales et les transcrire dans la législation nationale. En définitive, les questions liées aux harcèlements et violences sur le lieu de travail doivent concernées tout le monde et pas juste les organisations syndicales.